CHRONIQUE DE LA RÉVOLUTION TUNISIENNE


« Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux »(La Boétie, Discours sur la servitude volontaire.)

Désordre, mode d'emploi.

Beaucoup escomptaient et espéraient que le départ de Ben Ali allait calmer les foules, renvoyer les manifestants dans leurs foyers et mettre un terme au « désordre préjudiciable à l'image du pays et à son économie ». De tout cela, nous le savons, rien n'y a fait. La révolution tunisienne est en marche et ne semble pas vouloir s'arrêter. Aussi bizarre que cela paraisse, la question qui tenaille et préoccupe le plus les classes possédantes du pays, les observateurs internationaux et les acteurs économiques n'est peut-être pas le « désordre ».

Le désordre est affaire ordinaire pour ces gens qui sont passés maîtres dans l'art de l'organiser, de le vendre et de le rentabiliser. Il y a des théories très sophistiquées pour ça : de la cinétique des gaz aux historiens de l'anomie, une foule de têtes d'œuf labellisés.

Ce qui embarrasse ici c'est une action sans acteurs. Un mouvement sans pâtre identifié que l'on peut corrompre ou occire. Un objet sans sujet. Voire une Révolution sans religion, sans clergé, sans sacerdoce ni sacrements. Pas une pilosité suspecte à l'horizon que ce soit d'ailleurs à Tunis ou au Caire. C'est troublant. C'est inquiétant. Ne soyons pas naïfs : Dans le magma informe des masses en mouvement, dans les coulisses et les interstices des foules, les appareils toutes obédiences confondues cogitent le moment opportun de leur entrée en scène pour se saisir du gouvernail.

N'empêche, ç'eut été tellement commode, tellement conforme aux schémas habituels d'avoir un peuple qui se meut sous la conduite d'un Parti, d'un Grand Timonier, d'une clique d'agitateurs qu'on peut acheter, séduire, embastiller ou fusiller. C'est peut-être cela qui est intolérable.

Or ici, rien de tel. La foule n'est pas un interlocuteur contrôlable. Particulièrement quand elle s'improvise peuple indocile et imprévisible.

Le problème avec les dictatures et les totalitarismes est qu'en étêtant les peuples, ils se privent d'ennemis représentatifs à circonvenir.

L'urgence a donc été de répondre vite, avec une retraite en bon ordre : Ben Ali a été abandonné avec l'espoir de dégonfler le processus et se donner le temps nécessaire pour se retourner, pour anticiper le coup suivant et conforter ce qui ne peux être perdu ou menacé d'être emporté.

En vain, jusqu'au soulèvement égyptien, diversion Ô combien opportune (et tant pis pour Moubarak !)

La fin de la récréation

Ils ont obtenu la fin du « dictateur » et de sa belle famille. On a amnistié et libéré presque tous les prisonniers d'opinion. On a respecté fidèlement la Constitution en confiant le gouvernail formel au président de l'Assemblée des députés.

On a accepté de légaliser tous les partis politiques interdits. Le premier ministre a promis de quitter le pouvoir dès la fin des prochaines élections au plus tard dans six mois… On a même fermé les yeux sur les pilleurs et les pillages de magasins, de propriétés… les propriétaires ont été convaincus que c'était le prix à payer… (À solder dans les calculs économiques des bilans consolidés à venir).

Que veulent-ils donc de plus ? Qu'est-ce qu'ils attendent pour rentrer chez eux ? Irritation excédée rapportée ce vendredi 28 janvier de Tunis : « Ce n'est quand même pas une poignée de manifestants qui va décider pour le pays. Je crois que la grande majorité des Tunisiens est satisfaite maintenant et veut juste un retour à la normale ». Le cri du cœur des classes aisées de La Marsa, de Nabeul, de Hammamet, de Monastir et des milieux d'affaires étrangers. « Retour à la normale », c'est-à-dire faire comme si rien ne s'était produit…

Comment éviter la tache d'huile toujours possible, la « contamination » d'un processus dont personne n'aurait cru les Tunisiens capables d'imaginer, de concevoir et encore moins d'entreprendre ? C'est ici que le concept de « réforme » prend tout son sens, comme une habile administration symptomatique des ressentiments, sans préjudice significatifs pour l'ordre politique contesté : l'art de faire du neuf avec du vieux.

L'insurrection égyptienne a son bon revers : braquant les caméra sur les ennuis de Moubarak, elle donne le temps à Ghannouchi, ce Talleyrand talentueux, de négocier la révolution tunisienne, de lui faire les concessions de formes (changeant de hard, mais pas de soft) et surtout de préserver le système qui menaçait de suivre Ben Ali dans sa faillite. Evidemment, il n'est pas interdit de rêver… Le ministre provisoire des AE y a laissé son poste.

Toute la question revient à : comment se débarrasser de ce peuple après qu'il ait fait, comme lors de toutes les révolutions bourgeoises, le travail qu'on attendait de lui et qui ne veut pas s'y tenir ? Comment récupérer un mouvement dont les exigences menacent l'économie et la stabilité constitutionnelle de la nation ? Il refuse de prendre congés et projette de faire place nette. « Et puis quoi encore ?? ! »

On les entendrait tempêter ces privilégiés et les milieux d'affaires qui ont le sentiment d'avoir été piégés à Tunis, à peu près en ces termes : « Combien de temps faudra-t-il encore supporter ces enfantillages ? » « Tout cela relève de ce fourvoiement démocratique puéril, éternellement récurrent, après lequel courent en vain les peuples constitutivement immatures : la maîtrise de leur destin. » « Qu'est-ce que c'est que ce peuple qui prend au sérieux les promesses des politiques et au pied de la lettre leurs discours électoraux ? » « N'a-t-il donc pas compris que la démocratie et les démocrates, c'est juste un jeu de rôle, une hypothèse de travail pour intellectuels en quête de controverses, un théâtre pour médias férus de spectacles, une carrière pour bavards égotiques qui ne représentent qu'eux-mêmes ? Une enceinte où se hiérarchisent les contraintes, où se négocient des intérêts qui n'ont rien à voir avec ceux des peuples et où on permute les pantins offerts de temps à autres en sacrifice à la colère populaire. N'a-t-il rien retenu du sort de Socrate ? »

« Sacrés Tunisiens ! Ils acceptent en 1956 une indépendance pacifiquement négociée entre un avocat habile et ambitieux et un politicard dont le péché d'orgueil lui fait porter le nom de son pays. Et ils se réveillent plus d'un demi siècle plus tard avec l'envie et le sérieux d'un potache pour enclencher une révolution qui va jusqu'au bout… »

Tout ce beau monde est en désarrois devant l'absence de modèles de référence qui permettraient d'éclairer de ce qui se passe et de réagir aux événements.

L'entreprise quêtant le risque qui légitime a posteriori les rémunérations excessives qu'elle tire de son activité, est un mythe tenace. Intenable est la situation d'un entrepreneur incapable d'entreprendre, c'est-à-dire incapable d'anticiper, terrorisé devant le risque, le vrai !

C'est bien connu, toutes les révolutions se consument en administration ou en Restauration. La révolution est une machine à déboulonner les dictateurs pas un mode de gouvernement. Le Parti Révolutionnaire Institutionnel a gouverné le Mexique pendant 70 ans. La révolution christique a fini en Vatican depuis plus de vingt siècles, résistant à la Réforme et à la Révolution française mais avec des églises envahies par les touristes, une crise des vocations et des prêtres (aux mœurs bizarres) atteints par la limite d'âge. Et dire que le Christ avait tancé le Sanhédrin pour avoir pétrifié la Parole dans des rites dénotés. Est-il besoin de se souvenir de la glorieuse Révolution d'Octobre qui a beaucoup emprunté à l'Eglise orthodoxe ?

In fine, le soulèvement tunisien sera formalisé et intégré dans un cadre constitutionnel. Des compromis seront négociés dans des limites difficiles à discerner et à anticiper, mais le ver est dans le fruit et, pour un temps indéterminé, les « sans-culottes » tunisiens vont injecter du sang neuf dans une dynamique sociale et politique qui impactera à plus ou moins brève échéance toute la région.

Beaucoup s'étaient demandés si la situation en Egypte relevait du syndrome tunisien. Le poids géostratégique de l'Egypte donnait à réfléchir, mais la similitude des situations augurait une fin analogue. Exemple :

Le 28 décembre, Zine El Abidine Ben Ali s'en était vivement pris à « une minorité d'extrémistes et d'instigateurs mercenaires à la violence et au désordre », dont les agissements « inacceptables » « nuisent au pays et en donnent une fausse image ». « La loi sera appliquée en toute fermeté à leur égard », a-t-il dit le 28 décembre.

Le 28 janvier, jour pour jour, mot pou mot, Moubarak a tenu le même discours. Il y a là plus qu'une coïncidence.

« En Orient, on a soit des talibans, soit des Atatürk » (N. Sarkozy)

C'est en ces termes en juillet 2008 que, ainsi planté en Parangon de la realpolitik, Nicolas Sarkozy donnait des leçons de pragmatisme aux cadres de l'UMP, et justifier l'invitation faite au président syrien d'assister au défilé du 14 juillet et sa visite d'Etat en avril en Tunisie [1]. « J'ai raison ! » avait alors triomphalement lâché le président, selon un participant. Malheureusement, ce n'est pas sur une posture réaliste (et bien plus précisément sur une rupture radicale avec elle) que le candidat Sarkozy avait assis et exalté sa différence lors de sa campagne en 2007…

Laissons de côté l'« Orient » que le président français emprunte aux dérangements picturaux de Ingres, de Chassériau ou de Delacroix, notons au passage que, comme de nombreux Français qui ignorent les langues étrangères (en dehors de l'anglais, et encore !), il ne s'est pas aperçu que la Tunisie se situe au Maghreb et que Maghreb signifie « Occident » en arabe et revenons sur le « double-bind » dans lequel on veut enfermer tous ceux qui contestent la politique occidentale au Maghreb et au Proche-Orient.

Face à un dilemme cruel - du moins s'efforcent-ils de nous en convaincre - les gouvernements occidentaux avaient le choix entre une démocratie qui menacent d'accoucher de régimes intégristes et des dictatures ainsi soutenues pour les en préserver. Argument : en 1991 en Algérie, les Islamistes n'ont accepté le suffrage démocratique que dans la mesure où ils étaient convaincus – et ils n'avaient pas tort en cela – qu'il allait leur permettre d'arriver au pouvoir et leur donner ainsi l'occasion de le supprimer. Un peu comme dans un train en déplacement dont les occupants du dernier wagon enlèvent les rails.

On présente ainsi Ben Ali comme un dictateur qui n'avait été « toléré », non par choix délibéré, mais seulement dans la mesure où il représentait un front acceptable, un moindre mal face à l'islamisme.

Entre Ghannouchi et Ghannouchi, l'impasse occidentale

Mais si cette version des choses était vraie, qu'on nous explique alors ceci :

Où s'est-il donc réfugié Ben Ali, le tyran anti-islamiste, chassé de son pays par le peuple tunisien ? En France ? En Angleterre ? En Allemagne ? Aux Etats-Unis ? Dans le creuset originel des Lumières ?

Non ! En Arabie Saoudite !

La « Mecque » (pour ainsi dire) achevée, constitutionnelle, transcendantale de l'intégrisme ! L'usine wahhabite qui fabrique ce qu'il y a de plus exemplaire, le nec plus ultra en la matière. L'Arabie : le prototype même de l'ennemi civilisationnel à la Huntington qui met en transe les hordes d'intellectuels islamophobes européens qui ont pignon sur rue, ces cerveaux unanimes, qui expliquent le malheur du monde par un voile sur la tête de petites filles, oubliant le voile qu'il ont devant les yeux.

Ainsi, les Saoudiens (et saoudiennes entièrement bâchées) qui fréquentent la Place des Vosges (à Paris) et la Promenade des Anglais (à Nice) ne sont absolument pas importunés… Bien au contraire ! Le réalisme des carpettes – au plus haut niveau – est à l'épreuve des obus. Elles succombent à l'odeur entêtante du pétrole. Les entreprises, les ministères, les Académies, les Grandes Ecoles, les IEP… en débordent.

Inversement, le chef du mouvement islamiste interdit en Tunisie (pas ce Ghannouchi, l'autre, le chef de Annahdha), n'était pas hébergé en Arabie Saoudite, en Iran, aux côtés de Ben Laden en Afghanistan ou au Pakistan. Là où « normalement » il est à sa place.

Non, il était hébergé à Londres, une des principales capitales qui se posent en ennemie irréductible de l'Islamisme ! Même si le rusé Ghannouchi n'a rien d'un ayatollah, cela invite tout de même à interrogations…

Certes, le Premier ministre britannique (en compagnie de la chancelière allemande, les deux rejoints quelques jours plus tard par N. Sarkozy), a fini de prend acte des changements intervenus depuis 1991 : « Je crois qu'il est temps de tourner la page des politiques du passé qui ont échoué », a-t-il déclaré le 05 février à Munich, à propos de l'extrémisme islamique dans son pays. C'est traditionnellement la capitale bavaroise que choisissent les Anglais pour se fâcher avec l'histoire.

Pensant à Cameron (et à Chamberlain), l'on se remémore le mot de Churchill : « Un taxi vide s'est approché et Attlee en est descendu ».

Au reste, nous savions combien le modèle binaire antithétique ne tenait pas la route.

C'est Ben Ali, le dictateur « toléré » précisément pour endiguer leur influence, missionné pour réduire l'Islamisme, qui s'acharnait à en faire la promotion chez lui.

En mai dernier, il lance la première banque commerciale tunisienne spécialisée dans la finance islamique, la banque Zitouna. Une institution fondée par le gendre du président Zine El Abidine Ben Ali, l'homme d'affaires de 29 ans Mohamed Sakhr Materi qui en détient 51% via le Holding Princesse Materi, avec le concours de six grands groupes privés tunisiens. Parmi ses structures figure un comité de la « chariâa » présidé par l'ancien mufti Cheikh Mohamed Mokhtar Sellami. M. Materi, par ailleurs membre de la chambre des députés, a lancé il y a environ trois ans la première radio religieuse, « Radio Zitouna », très écoutée en Tunisie.

À peine Ghannouchi (l'islamiste) quittait la capitale britannique pour retourner chez lui, une rumeur (malveillante) y annonçait l'arrivée imminente de Moubarak et de sa famille. C'est dire à quel point l'Occident permute selon les circonstances, les deux faces opposées de l'aliénation du monde arabe dont il joue cyniquement au vu et au su de tous.

N'est-ce pas avec les Frères musulmans que le pouvoir égyptien tente de négocier la « transition » qu'américains et généraux égyptiens essaient de vendre aux insurgés ?

Enfin, Tariq Ramadan, citoyen helvète né dans la patrie d'adoption de Calvin, petit fils de Hassan El Benna (fondateur égyptien des Frères Musulmans), qui concentre sur lui une animosité d'une rare intensité dans les cercles sionistes européens les plus militants, est un honorable professeur non à Zitouna, A Damas ou à Riyad, sans doute pas à El Azhar, mais à Oxford, le temple aristocratique de la bienséance et de l'intelligentsia britannique. Au passage, on comprend mieux – à suivre le cas T. Ramadan - pourquoi les autorités coloniales n'ont jamais encouragé la scolarisation des enfants indigènes.

Qui peut croire encore au dilemme dans lequel on veut embastiller les pays arabes et musulmans ainsi que l'opinion publique occidentale : la dictature « démocratique » ou le chaos islamiste ?

30 ans de Moubarak après, les Français ayant retenus la leçon tunisienne, affirment tous d'une seule voix résumée par la déclaration des Verts (EELV) : « Ni intégrisme, ni dictature. Le peuple égyptien a droit à la démocratie »

Enfin !

Merci pour lui.

Résipiscences françaises : À la recherche du temps perdu…

Le chapitre 1 raté, les Français comme si de rien n'était, sont passés au chapitre suivant, moyennant des contritions compassées qui ne coûtent rien, mais qui ne rapportent malheureusement pas grand-chose…

Frédéric Mitterrand : « Les Tunisiens savent que je travaille au service de la Tunisie, et notamment dans le domaine culturel, depuis trente ans. Comme beaucoup d'autres, je l'ai fait en essayant de privilégier le dialogue avec les autorités et souvent en allant jusqu'aux limites de ce qui était acceptable », a écrit le ministre français dans cette lettre publiée par l'hebdomadaire Réalités sous le titre « lettre de Frédéric Mitterrand au peuple tunisien ».

Plaçant la question à la hauteur de son ego (pathologie indigène chronique), alors que c'est la France qui y a laissé ses intérêts, il continue : « Alors que le peuple tunisien est parvenu par ses seules forces à se débarrasser de la chape de plomb qui pesait sur lui, je regrette profondément que mon attitude et les expressions qu'il m'est arrivé d'utiliser aient pu offenser des gens que j'ai toujours voulus aider et que j'admire et que j'aime » (…)

« Puissent ceux qui me connaissent bien et savent ce que j'ai accompli réellement me comprendre et accepter mes regrets », assurant partager « totalement l'enthousiasme pour l'avènement de la liberté et l'espoir en la démocratie » en Tunisie.

En Echo, le président Nicolas Sarkozy y va à son tour de ses regrets : « Derrière l'émancipation des femmes, l'effort d'éducation et de formation, le dynamisme économique, l'émergence d'une classe moyenne, il y avait une désespérance, une souffrance, un sentiment d'étouffement dont, il nous faut le reconnaître, nous n'avions pas pris la juste mesure ».

Soit. Désormais, la France pèse en Méditerranée méridionale et orientale le poids de l'insignifiance (La France a interrompu ses ventes d'armes à l'Egypte le 05 février. Qui s'en est aperçu ?). Le comble est que ses élites visibles le reconnaissent bien volontiers et semblent s'en accommoder avec un flegme de loosers convaincus.

« Quand je suis en vacances, je ne suis pas ministre des Affaires étrangères » se défend M. Alliot-Marie. À quels arguments insolites sont réduits les professionnels de la politique quand ils ont perdu le sens des réalités…

Le silence sidéral des « Hautes Consciences »

Après s'être tus sur la répression en Tunisie, les politiques français se bousculent au « crachoir ». On n'arrive plus à museler les acrobates opportunistes. La Tunisie et l'Egypte s'invitent dans une pré-campagne présidentielle meurtrière.

La confusion et la précipitation sont le lot des attardés (dans tous les sens du mot)… Ainsi, craignant de rééditer le couac tunisien, Jeannette Bougrab secrétaire d'Etat aux sports s'est crue tenue de prendre les devants et déclare samedi 29 janvier sur France Info : «Je crois qu'il faut que le président Moubarak parte, je crois qu'après 30 ans de pouvoir il y a quand même une forme d'usure et que la transition démocratique doit aussi toucher l'Égypte».

Or, toujours taraudés par l'incertitude, hésitants, dépourvus de politique internationale claire, guettant les signaux venant du Caire, de Washington, de Londres ou de Berlin, le président de la République et son premier ministre se sont gardés d'appeler au départ de Hosni Moubarak. Se contentant de propos vagues et ambivalents pour se ménager une porte de sortie improbable dans un cul-de-sac, coincés entre la défense de la démocratie et celle de leurs intérêts. Avec des Américains difficiles à suivre, qui ne partagent pas toutes leurs analyses, qui n'informent pas leurs alliés sur leurs intentions et qui font volte face selon les circonstances.

Ceci, jusqu'au 02 février après que Obama ait donné le « la » et le « top » [2].

Entre-temps, convoquée à Matignon le lendemain, la secrétaire d'Etat aux sports a pris connaissance de la position officielle de la France et des limites de ses compétences. Inutile de reprendre les termes inélégants utilisés à son endroit par les commentateurs.

Mais qu'en est-il des démocrates professionnels, qu'en est-il des spécialistes de l'indignation universelle ? Où se cachent-elles donc ces égéries ombrageuses, ces experts de l'ingérence humanitaire, prompts à pourfendre les dictatures quelle que soit la hauteur des murs derrière lesquels elles s'abritent ? « On voyait que Ben Ali avait mis son pays en coupe réglée et le pillait ? Et on attendait, pour le dire, qu'il ait perdu le pouvoir ? » (Le Point, 20 janvier 2011) L'aveu que BHL prête au gouvernement français lui va comme un gant.

Tous ses amis, comme lui, se sont tus : Pour qu'on oublie leurs compromettantes « amitiés » pour les régimes dictatoriaux locaux ?

Pour qu'on oublie leurs déclarations apologétiques en faveur des nababs maghrébins qui les reçoivent en grandes pompes dans des propriétés somptueuses en compagnie de l'élite politique française qui passe régulièrement des vacances laborieuses, à l'abri des médias européens… comme en décembre dernier au Maroc ? MAM en Tunisie et Fillon en Haute Egypte aux frais des dictateurs ?

Ne seraient pas-ils inquiets de ce qu'il pourrait advenir de leurs protégés ici et là (surtout là…) ?

Alternances sans alternatives

La démocratie, ceci ne peut être éludé, est un produit exportable mais à une condition (au moins) : que ceux qui en sont les promoteurs soient vertueux et appliquent chez eux les préceptes qu'ils prescrivent à autrui. La démocratie française est à cet égard édifiante : 3 exemples récents.

* Craignant le vote populaire, l'exécutif français a renoncé à soumettre à référendum le Traité de Lisbonne, un enjeu décisif de souveraineté. À une Irlande prés, qu'on a fait voter deux fois avec moult pressions et concessions, les parlements ont privé, en Europe, les peuples de leur choix pour des questions qui imposent la consultation populaire. Clamer que les peuples répondent toujours aux questions qu'on ne leur a pas posées, c'est un peu court.

Nous savons par exemple que les commissionnaires européens disposent, dans une large mesure, sans aucune légitimité populaire, de prérogatives du seul privilège des peuples et leurs directives surplombent les lois nationales pour dessiner un paysage politique auquel les nations n'ont pas explicitement, consciemment consenti.

Par ailleurs, le Parlement européen est une chambre si éloignée des citoyens, les procédures si complexes, les députés aussitôt élus s'adonnent aux transactions entre soi qui ont fait les beaux jours de la IVème République en France. Tant que l'objectif confinait à une supranationalité contractuelle afin de doter l'Europe d'une dimension planétaire, conférant au Vieux Continent un rang et une audience conforme à son histoire et à ses ambitions, beaucoup d'Européens avaient souscrit à ces procédés pour aller vite et mieux. Le pragmatisme a toujours servi de prétexte aux représentants des peuples pour justifier la trahison de leurs mandats.

* Dans les mêmes conditions, le président français a décidé que son pays rejoigne le système militaire intégré de l'OTAN. Ce qui revient de facto, quelle que soit l'amitié que partagent les peuples américain et français, à placer ses forces armées sous commandement étranger. La France est par ailleurs engagée militairement en Afghanistan où ses soldats perdent leur vie, sans qu'à aucun moment cet engagement n'ait fait l'objet d'un large débat permettant de recueillir l'avis et l'aval des Français. La guerre est une affaire grave qui suppose l'identification d'un ennemi déclaré tel et combattu au nom du peuple. Qui sait au juste la cause défendue par l'armée française en Afghanistan ? Certes, pour paraphraser Clemenceau, la guerre est une affaire trop sérieuse pour la confier aux peuples.

* Pendant de nombreux mois, les Français ont manifesté leur désapprobation au projet de réforme des retraites (auxquelles le candidat Sarkozy avait promis de ne pas toucher). Les sondages ont confirmé avec régularité et constance cette opposition. Cela n'a pas empêché le gouvernement de faire voter une loi que le peuple contestait.

Est-il alors si surprenant de constater une baisse tendancielle des taux de participation aux différents scrutins dans les pays « démocratiques » (sauf évidemment dans les pays où le vote est obligatoire, par exemple dans cette pauvre Belgique menacée de scission) où les électeurs ont perdu toute confiance dans un système qui leur renvoie immanquablement les mêmes professionnels de la politique qui alternent leur incompétence avec une régularité désespérante.

Les Etats sont dépouillés de leurs prérogatives et les citoyens se rendent compte que leurs élus sont de moins en moins des acteurs et de plus en plus des commentateurs, ce explique sans doute pourquoi les métiers de politiques et de journalistes se confondent et qu'il n'est pas étonnant d'observer que si les décisions intéressant les nations se négocient discrètement dans des espaces off shore, elles sont mises en scène dans les rédactions et exposées sur les plateaux de télévision.

C'est toujours Churchill qu'on sollicite pour apporter une pitoyable réplique (usée jusqu'à la corde) à ce constat critique. Comme s'il suffisait d'une pirouette ou une pointe d'humour (et on sait que l'occupant du 10 Downing Street n'en manquait pas – mais cela valait-il un Nobel de littérature ?) pour évacuer cette question essentielle.

C'est pourquoi - nous y revenons plus loin - les partis « démocrates » ont (dans les pays du sud comme dans les pays du nord) si peu crédibles, parades rhétoriques stériles, tenus à bout de bras par des moyens et des procédés aux limites de l'ingérence, parfois ostensiblement et ouvertement revendiquée.

« La révolution est de retour. La question n'est pas si elle viendra mais quand elle viendra chez nous. » Jean-Luc Mélenchon, JDD, 30 janvier 2011.

« La démocratie, c'est d'abord manger à sa faim. » Chirac dixit !

« Tous les hommes sont égaux, mais certains sont plus égaux que d'autres. » Coluche.

C'est en ces termes « pragmatiques » que l'ex-président français avait décidé d'aborder la question du régime de Ben Ali dont il avait fini par admettre qu'il n'avait rien à voir avec la démocratie ou une répartition équitable des richesses…

Ce n'était pas, cela tombe sous le sens, au peuple tunisien qu'il s'adressait. Comme d'habitude, c'est en Occident, entre soi, que se décide et se débattent les problèmes et l'avenir du Sud. On y joint quelques fois un échantillon d'universitaires supplétifs exotiques avec une propriété strictement bijective : les Sénégalais parlent du Sénégal, les Gabonais du Gabon, les Algériens de l'Algérie… et les Occidentaux – comme il se doit - de tout le monde.

Le propos de Chirac est partagé par une multitude de bien pensants qui n'ont pas de temps à perdre en considérations théoriques et humanitaristes : « Concédons que Ben Ali n'est pas un démocrate mais reconnaissons ses autres « mérites » : l'éducation, le droit des femmes, le développement économique, la paix sociale, la lutte contre… l'obscurantisme. »

Ç'eut été acceptable si c'était avéré. La réussite tunisienne n'est malheureusement pas aussi brillante que le disent les présidents français soucieux de la prospérité des entreprises françaises et abusés par la façade touristique méditerranéenne, fardée à l'intention de se clients [3]. C'est bien de former des universitaires et d'en tirer argument en faveur du soutien apporté à Ben Ali, mais seulement si on les emploie.

En décembre 2009, soit une année avant la fin de Ben Ali, le directeur général adjoint du Fonds Monétaire International, Murilo Portugal, tirait (confidentiellement) à Tunis la sonnette d'alarme : « le plus grand défi qui se pose à la Tunisie est le problème de l'emploi, surtout des diplômés de l'enseignement supérieur. » Estimé officiellement à près de 14% de la population active, le chômage touche de plein fouet les promus des établissements universitaires. Chaque année, 85.000 personnes arrivent sur le marché du travail pour seulement 60.000 à 65.000 postes supplémentaires. Il ajoute que pour que le chômage soit sérieusement résorbé les 3% de croissance du PIB en 2009 ne suffisent pas : il faudrait au moins 10%. Passons sur les 2$ par jour (moins de 50€/mois) dévolus à 40% d'Egyptiens.

Les Tunisiens eux savaient bien la différence entre la communication des politiques, les cartes postales et les posters des agences de voyages et la réalité qu'ils vivaient tous les jours. Ils ne parvenaient pas à comprendre comment la « patrie des droits de l'homme » pouvait supporter un régime aussi étranger à l'idée d'égalité, de liberté et de fraternité.

Bien que beaucoup d'« experts », incapables de le prédire, continuent à colporter l'idée que le soulèvement tunisien est du aux réseaux sociaux numériques [4], d'autres observateurs se rabattent sur l'antienne : c'est simple, la Révolution tunisienne est « une révolte de la faim ». Ce qui mis à mal le soutien réaliste apporté à Ben Ali et à ses performances. Clichés mis à part, ce n'est pas totalement faux, de nombreux miséreux comptent en effet parmi les foules qui défilent, mais cela ne permet pas d'expliquer la rupture qui vient de se produire à Tunis ni d'ailleurs dans les grandes métropoles égyptiennes (et pas seulement au Caire).

Les Tunisiens qui manifestent dans les rues de la capitale et centres urbains du pays n'ont rien de crève-la-faim !

Mohamed Bouazizi s'est immolé non parce qu'il était au bord de l'inanition, mais parce qu'il ne supportait plus l'humiliation de sa condition, lui préférant la mort.

Humilié d'être un diplômé de l'université sans emploi.

Humilié de ne pouvoir même pas pouvoir vendre des fruits et des légumes à la sauvette.

Humilié de n'être ni un universitaire officiel, ni un travailleur clandestin.

Humilié d'être un citoyen informel.

C'est probablement cette humiliation qui est aux origines d'une révolte spontanée d'un peuple qui reconnaissait sa propre déchéance dans celle de cet homme qui a préféré mettre fin à ses jours que de supporter sa condition. Devant ces femmes et ces hommes révoltés s'étalaient tous les jours des écarts considérables de richesses et de privilèges selon un gradient dont ils n'arrivaient à comprendre ni à s'expliquer la logique.

La pauvreté ou les privations, quelle qu'en soit la dureté, sont en soi tolérables par les peuples mais seulement sous conditions : qu'elle soit expliquée et justifiée, que soient indiqués les voies et moyens destinés à la réduire et surtout que les contraintes soient équitablement réparties entre tous les membres du corps social.

Il n'est pas acceptable que la « rigueur » et l'austérité soient infligées à la majorité et épargnent une minorité de nantis oisifs, singulièrement lorsque certains d'entre eux marquent ostensiblement - au su et au vu de tous – à quel point ils en sont affranchis.

Ces conditions tiennent lieu de principes universels.

Comment déposséder le peuple de ses droits d'acteur ?

« Les machines un jour pourront résoudre tous les problèmes, mais jamais aucune d'entre elles ne pourra en poser un ! » A. Einstein

Il n'est pas concevable que le peuple tunisien fût l'acteur de son destin. Sur cette question, que de pages noircies en vain : Les théories foisonnent en anthropologie politique, chez les sociologues amateurs, les politologues en vue, les psychosociologues du chaos et des foules révoltées… Les experts qui défilent sur les plateaux de télévision renseignent sur le brainstorming qui agite les politiques qui ne savent plus à quoi s'en tenir. C'est pire que les conjoncturistes et les chartistes (qui se pressent autour de la « corbeille »), impuissants à « voir » au-delà de deux séances de bourse et qui passent leur temps à prévoir le passé.

Un bon exemple : J. Attali convoque Marx et le marché pour postrationaliser son incapacité à prévoir : « on est conscient, depuis l'analyse de l'histoire anglaise par Karl Marx, que le marché crée les conditions de l'émergence de la démocratie. (…) la Tunisie, passée à l'économie de marché, ne pouvait que devenir une démocratie » écrit-il concluant : « Rien n'était plus attendu que la révolution du jasmin » (L'Express, mercredi 19/01/2011 à 17:39).

Le seul problème est qu'Attali n'avait jamais rien prévu.

Bien au contraire, il participait – avec beaucoup d'autres (ses amis « socialistes » aux commandes du FMI ou de l'OMC par exemple) - à entretenir la dictature clanique des Ben Ali.

Au reste, l'économie tunisienne n'est pas plus une économie de marché que l'économie américaine ou l'agriculture européenne, subventionnées et encadrées par des protections qui échappent depuis longtemps aux lois de l'offre et de la demande. Microsoft « habite » plus de 90% des ordinateurs de la planète sans que la loi antitrust ne songe à le casser ou à le nationaliser. Clinton a essayé très modestement. Des pans entiers de l'économie sont concédés aux magnats privés. Bush a immédiatement mis dès 2000 un terme à ce projet pourtant fidèle à la doctrine libérale.

Les grandes entreprises industrielles américaines, un pied dans le civil un pied dans le militaire, profitent grassement des subventions de l'Etat américain. Des lobbies puissants y veillent. L'Europe verte (à laquelle près de 50% du budget européen est consacré) ne connaît pas les lois du marché, pour le malheur de l'agriculture des pays pauvres étouffées par les exportations européennes.

Evidemment, les lois du marché sont prescrites aux pays dominés et gouvernés par des hommes de paille.

Le marché qui accouche de la démocratie ? Attali en a de bonnes ! La lecture critique qu'en fait le tunisien Dahmani Fathallah (www.leaders.com.tn, J. 10 février 2011) renvoie courtoisement ce visionnaire de génie à des considérations élémentaires.

Attali fait comme tout le monde, il commente et vend du papier dans un monde amnésique. Aussitôt lu, aussitôt oublié.

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Après les réseaux sociaux et les internautes « révolutionnaires » (ces victimes d'une addiction solipsiste chronique – surtout chez nous où les écrans sont, après le foot, le seul loisir bon marché), après les jacqueries des affamés, on se plaît aussi à expliquer la Révolution tunisienne par un complot américain ourdi pour chasser les Français du Maghreb afin d'occuper leur place.

Ce serait même Washington qui aurait fait pression sur l'Arabie pour qu'elle accepte d'héberger Ben Ali et dissuadé le malheureux dictateur en fuite d'aller en France. Cette dernière n'aurait pas été informée de cette combine secrète dont les Américains ont tiré comme ils savent le faire, toutes les ficelles. De coupable d'avoir omis de secourir ses voisins, la France s'improvise victime.

On trouve trace d'un tel scénario susurré il y a quelques jours dans Le Figaro, sous la plume imaginative de G. Malbrunot, un ancien otage expérimenté qui n'a pas succombé au « syndrome de Stockholm » (Irak 2004) et qui se lance dans le « nation-building » très en vogue à Hollywood et dans les rédactions après la fin du conflit « Est-Ouest ».

Cette thèse n'en est pas une et sollicite abusivement les faits. Tout le monde sait depuis le XIXème siècle que l'Amérique s'applique à se débarrasser de toutes les anciennes puissances coloniales sur les trois continents où elle aménage des régimes favorables à leurs intérêts.

Cela commence par l'Amérique Latine où la Doctrine Monroe (énoncée en 1823 et tenue pour doctrinalement officielle en 1854) déclare le continent comme une « chasse gardée » exclusivement yankee. [5]

Les Etats-Unis ont donné, comme chacun sait, un coup de pouce circonstanciel à l'indépendance de l'Algérie, notamment aux Nations Unies. Mais les Algériens n'ont jamais mis cela sur le compte de l'expression d'une inclination romantique irrépressible des Américains pour la libération des peuples.

Il en fut de même après le « 24 février » de l'époque où l'Algérie tenait encore debout et savait tirer parti des contradictions américano-hexagonales. On continue encore à ânonner en Occident que le « choc pétrolier » de 1973 a été un complot ourdi par les enturbannés du Golfe.

Que les Etats-Unis se réjouissent des difficultés françaises, il n'y a là rien de bizarre, surtout lorsque les Français accumulent maladresses et incompétences dans des formats historiquement inconnues. Mettre en porte à faux les « grenouilles » ne déplaît pas toujours aux Yankees, particulièrement quand ils peuvent en tirer profit.

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Les hauts fonctionnaires du Quai d'Orsay et le corps diplomatique signalent régulièrement les ratés de la politique internationale de Paris. Jusqu'à contester en aparté la décision de relever des ses fonctions l'ambassadeur en Tunisie, Pierre Ménat, qui fait les frais des erreurs d'appréciations de Paris sur un mouvement qui a emporté le régime tunisien [6].

Prenant sa défense dans Libération du 25 janvier, Yves Aubin de la Messuzière, ancien ambassadeur à Tunis de 2002 à 2005 révèle que « Les autorités politiques françaises étaient parfaitement informées des dérives du système Ben Ali.» Ce ne serait pas chez les diplomates qu'il faudrait chercher la cause des déboires français. On ne peut mettre toutes les défaites sur le compte des artilleurs. Il y a la machine et il y a les pilotes…

Cela ne date pas de 2007 : le passage de Douste-Blazy (le « Cond'Orsay », sobriquet forgé par ses collaborateurs) aux Affaires Etrangères avait atteint un summum dans ce domaine. Et celui de Monsieur « K », dans un autre registre, a réussi à le faire oublié (cf. Pierre Péan : « Le monde selon K », Fayard, 2009). Le french-doctor, apôtre du « devoir d'ingérence humanitaire », après son éviction du dernier gouvernement Fillon, a complètement disparu du devant de la scène. Sans doute, le brocardeur militant du droit-de-l'hommisme eut été plutôt encombrant aujourd'hui dans la gestion des relation avec la Tunisie insurgée.

Dominique de Villepin ne manque pas d'arguments (ni de raisons personnelles) à pointer : la France n'a pas été très heureuse dans le choix de ses ministres des Affaires Etrangères dit-il… Plus sévère, il déplore « l'humiliation de ne pas avoir une diplomatie à la hauteur ».

Washington n'a pas besoin de fournir des efforts à souligner l'indigence française : l'exécutif français se débrouille très bien tout seul. Les confusions dans la gestion médiatique de ses échecs s'ajoutent aux gaucheries de Mme Alliot-Marie et donnent de la France une image qui peut que porter préjudices à ses intérêts. Les entreprises le manifestent de moins en mois discrètement.

Nicolas Sarkozy à propos des vacances de son premier ministre en Egypte payées par Moubarak : « Pas un centime français n'a été dépensé pour ce voyage » a-t-il répondu. Le même argument a été repris au mot près le lendemain sur une chaîne de télévision publique par un journaliste d'époque – l'inénarrable Eric Zemmour -. Un vrai symptôme !

Les Français consentiraient donc cyniquement à ce que le contribuable égyptien (et on sait par quels démocrates son pays – pauvre au demeurant - est dirigé) prennent en charge les loisirs de ses hommes d'Etat ? Comment dans ces conditions peut-on espérer, à défaut d'être morale, avoir une politique internationale claire et efficace ?

Certes, nos amis Français savent faire naufrage avec panache et, comme on le voit, avec impudence. Ce faisant, les Algériens qui se réjouissent peu ou prou des malheurs de notre voisin du nord, quelles que soient ses responsabilités historiques à l'égard de leur pays, seraient avisés de voir que les maladresses françaises ne sauraient cacher les (plus) graves insuffisances européennes. Le cynisme est chose ordinaire dans ces démocraties à morale variable.

Il en est de même du cafouillage de Washington qui ne sait plus au juste sur quelles lignes stratégiques ajuster ses décisions, tant la Maison Blanche a maladroitement tergiversé au point qu'on ne savait plus très bien au vrai qui dirigeait, quels lobbys agissaient dans l'ombre et si tout compte fait Moubarak n'était pas le pantin que certains décrivaient.

Jamais les armadas – et cette conviction est tenace outre-atlantique - ne suffisent à dispenser du discernement et de la sagesse comme intelligence opérationnelle des limites. La politique mortifère de GW Bush est encore dans toutes les mémoires.

Ce dont l'Amérique ne peut se croire quitte.

Obama a été excessivement modeste dans la réception qu'il a fait au prix Nobel de la Paix dont le Jury de Stockholm en 2009 l'a gratifié, l'acceptant comme gage stimulant de résultats futurs. Cette modestie est opportune, car à ce jour on se demande par quels succès sa politique étrangère pourrait après coup se prévaloir et le justifier.

La grandeur n'est pas une question de taille

« Puisque le peuple vote contre le Gouvernement, il faut dissoudre le peuple. » B. Brecht.

Quoi qu'il en soit, à l'étranger, on n'arrive pas décidemment à se faire à l'idée que le peuple tunisien (et d'une manière générale les peuples du sud) soit capable de se libérer tout seul.

Les Tunisiens ont réussi à le faire (cela n'a pas été assez souligné) sans que le moindre slogan hostile n'ait pris pour cible un quelconque ennemi étranger. Et chacun sait combien il est tentant (vieux procédé de régimes aux aboies) de fonder une cohésion interne sur une adversité externe… Alors que le sang coulait à flots au Caire ce vendredi 28 janvier, un journaliste de BFM-TV intervenait en direct sur sa chaîne et vaquait paisiblement parmi les insurgés en toute quiétude. C'est en revanche par la police de Moubarak que quatre journalistes français ont été interpellés, violentés puis enfin relâchés.

Dans les coulisses (ici et ailleurs), parmi les manifestants, au cœur d'un gouvernement tunisien illisible, dans les dédales tortueux de la société politique du pays… s'entrecroisent des projets, des idées, des hypothèses, des coups bas, des coups tordus, des plans sur la comète… et tout cela avec son lot d'illusions et de rêves.

Tous les observatoires sont braqués sur le « laboratoire » tunisien (avant de l'être sur le cas égyptien), les scenarii et toutes sortes de simulations sont mises à l'épreuve en temps réel des Spin Doctor et des Think-Tank qui attendent la fin des agitations pour se prononcer définitivement : ange ou monstre ?

En attendant, les sous-fifres et les sous-fifres ne baissent pas les bras et très tôt, les agences de notations ont montré les dents en relevant les taux de refinancement de la Tunisie, pour bien montrer qu'elles ne plaisantent pas. Les créanciers internationaux pèsent toujours sur la Grèce, l'Islande, l'Irlande, le Portugal ou l'Espagne. De même, l'Egypte a vu sa note dégradée à son tour.

N'est-ce pas cela le destin d'une nation qui grandit ? La « petite » Tunisie qui concentre toute l'attention des « grandes » nations et des plus modestes d'entre elles.

Du baril égyptien, on écrira un jour peut-être que la Tunisie en fut la mèche.

Quelle magistrale revanche sur l'histoire et… la géographie !

D'un RCD à l'autre. La tactique du coucou.

Gbagbo ne remerciera jamais assez les Tunisiens et les Egyptiens.

Mais la révolution populaire tunisienne ne fait pas que des heureux. Un peu partout les régimes soumis ou illégitimes sont menacés : la Jordanie, la Mauritanie, le Yémen, le Maroc… on s'inquiète même en Europe, en Italie ou en Serbie par exemple où la population prend exemple explicitement sur la Tunisie. On peut aussi signaler la perturbation introduite par le départ de Moubarak dans le plan com' du président français, au lendemain de son intervention sur la Une. On imagine le branle-bas de combat dans l'arrière-boutique médiatique de l'Elysée…

Dans d'autres, on casse les thermomètres, les régimes anticipent et cèdent sur les points sensibles avant même d'avoir vu le premier manifestant : ici ou là on augmente les salaires, on subventionne les produits de premières nécessités ou on remercie les ministres les moins populaires. Rien que des pays proches et soutenus par l'Occident. Pas un « Empire du mal » n'est touché de manière significative qui laisserait prévoir (espérer ?) une rupture radicale. Etrange non ?

Toutefois, bien que tous ne relèvent pas du paradigme tunisien, tous ont un compte à régler avec l'équité, des comptes à rendre avec leurs engagements.

Après avoir raté de nombreux trains, l'opposition algérienne essaie de rebondir sur les événements de Tunisie pour faire avancer ses propres wagons.

La démocratie est devenue un slogan agité à tout propos et il suffit qu'un peuple se soulève pour que la démocratie soit convoquée pour justifier et expliquer, comme cause et comme projet sans qu'au-delà précisément des mots, on sache au juste ce dont il est question. On fait abondamment parler les peuples et interpréter leurs manifestations. On les a tant trompés en les faisant parader au nom de toutes sortes de conceptions de la démocratie... confondant les moyens et les fins. Certains ex-pays de l'est dressent le bilan de leur « libération » et s'interrogent… Les populismes de tout bord s'en donnent à cœur joie.

La démocratie oui, bien sûr, mais pour quoi faire ?

Ce qu'il y a de prévisible et aussi d'affligeant avec les démocrates patentés et autoproclamés, outre leur inclination immodérée pour les micros, les estrades et le parfum de maroquins, c'est que tout leur univers politique (qu'ils partagent avec celui des funérariums) commence et finit dans les urnes.

Pour ces professionnels de la représentation, la démocratie se résume aux scrutins et se déploie dans les enceintes parlementaires. Ils ne se battent pas pour et avec le peuple : ils se battent pour avoir des sièges et accéder au partage de la rente.

Le problème vient de ce que pour qu'il y ait une opposition en Algérie, il faut d'abord qu'il y ait une majorité identifiable, formalisée idéologiquement et politiquement.

Or, la vie politique algérienne présente un électro-encéphalogramme aussi plat que le taux de croissance du PIB et les exportations du pays hors hydrocarbures.

Nous n'avons à dire vrai ni majorité, ni Assemblée Nationale qui (à suivre ses débats) mériterait ce titre et on peut même douter que nous ayons un gouvernement digne de ce nom.

Exemple : Le 10 mai 2010, un journaliste du Soir d'Algérie a judicieusement remarqué que le Conseil de ministres ne s'était pas tenu depuis le 31 décembre 2009. Le plus curieux n'est pas qu'il ait été aux abonnés absents pendant des mois. Le plus grave est que personne ne s'en était aperçu et ne s'en était soucié. Mieux : le lendemain, Bouteflika s'est dépêché de réunir ses ministres pour la première fois en 2010. Et il remet cela le 24. Six jours plus tard, le 28, remaniement ministériel. Diantre ! Seul un idéaliste hégélien ou un fanatique de MacLuhan aurait imaginé qu'un article de journal ait pu entraîner une telle chaîne de conséquences…

C'est un peu comme en Belgique (en compétition avec l'Irak sur ce point, c'est dire…) qui n'est plus gouvernée depuis plusieurs mois sans que cela pose de problèmes insurmontables. Les Etats sont devenus des circonscriptions territoriales administrées par des professionnels et la dimension même du politique a perdu son sens.

L'opposition algérienne est aussi vide de projets et aussi peu crédible que le « système » qu'elle s'obstine rituellement à dénoncer. C'est d'ailleurs pourquoi, lors de la marche de janvier, il y avait plus de militants encartés habillés de mots d'ordre creux, que de citoyens. Avec à leur tête des caciques et des zaïms inoxydables aussi indéboulonnables que les dinosaures inamovibles d'en face. Le RCD n'a-t-il pas cédé en 1999 à l'ivresse du pouvoir dans le premier gouvernement Bouteflika ?

Ces imprudences se paient.

Pourquoi a-t-elle si peu d'audience auprès du peuple algérien ?

- Est-ce parce le peuple soutient le régime ? N'y croient que les rentiers qui font la danse du ventre à chaque élection, avec l'Unique pour immortaliser ces moments historiques.

- Est-ce parce que le peuple pense que la seule opposition est représentée par des partis islamistes qui ont été effacés du paysage politique domestique ? Il y a encore quelques nostalgiques des cérémonies cathartiques des années Chadli pour y croire.

Le peuple algérien, sans que sa foi n'ait été vraiment éprouvée, est définitivement guéri de l'islamisme politique. Il a payé pour… Et ceux qui brandissent encore ce fantôme sorti de leurs modèles binaires viennent d'en être pour leurs frais en Tunisie et en Egypte.

En fait, le peuple algérien n'a plus aucune confiance (il n'y a pas d'autres mots) dans ceux qui le dirigent et encore moins les courants d'air qui s'y opposent et qui s'agitent de temps à autres, selon les occasions, et puis s'en vont.

L'opposition « démocratique », ce pourquoi il n'effraye pas le « système », est un ectoplasme sans envergure nationale, sans consistance réelle ni existence sur le terrain, là où le peuple attend des acteurs pas de rhéteurs.

La démocratie des bateleurs n'est plus un produit porteur : ce n'est plus d'époque. Finie la parlotte, les extraits choisis empruntés aux slogans usés des régimes du nord où la démocratie parlementaire représentative ne représente plus grand monde. En Tunisie, le peuple explore une dynamique politique participative, pacifiste et responsable : une leçon pour l'ensemble du bassin méditerranéen, toutes rives confondues.

Nul ne peut dire ce qu'il en sera à terme de leur expérience, mais nos compatriotes Tunisiens et Egyptiens sont beaucoup plus clairs dans ce qu'ils sont et dans ce qu'ils veulent. Et leur force vient de ce qu'ils s'appuient sur leur peuple maître de céans, pas sur les caméras de télévision étrangères.

En préparation de la marche du 12 février, la question fut de savoir si les organisateurs devaient ou non demander une autorisation aux autorités. Un argument insolite a été présenté en faveur de la demande : «Qu'ils refusent (les pouvoirs publics) ou non, il faut demander une autorisation. Il y a une opinion internationale qui suit avec attention ce qui se passe dans le pays et elle sera avec nous si les autorités refusent d'autoriser cette action».

Plus qu'une maladresse, une faute de ce type n'incite pas à marcher avec son auteur et à partager sa cause. Il n'est pas sûr que « le quotidien de référence » qui la rapporte ait mesuré sa gravité. Le peuple tunisien, lui, n'a pas eu besoin du soutien français ou de « conclaves » off shore sur les bords de Seine ou à Bruxelles pour bouter Ben Ali hors de Carthage… D'autant moins d'ailleurs que la France était plutôt du bord du dictateur qui l'opprimait.

C'est Paris au contraire qui court désormais derrière Tunis. En une sorte de poignard planté dans le dos du fidèle allié d'hier, une statue va baptiser un lieu à la mémoire de Mohamed Bouazizi à Paris : « Ce vœu a été adopté à l'unanimité par le Conseil de Paris ». À défaut de projet politique, B. Delanoë montre son adresse à surfer sur les vagues.

Quelques jours auparavant, un tapi rouge a été déroulé sous les pied d'un ministre tunisiens des AE provisoire… Et pour avoir été bien reçu par une MAM aux aboies, les insurgés s'en sont offusqués, exigeant et obtenant dimanche 13 février sa démission. Ce qui montre en quelle estime la France est dorénavant tenue.

Qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour calmer la rue tunisienne ? Giscard d'Estaing, en son temps (décembre 1977), avait apporté sa collaboration au sacre d'un empereur nègre en Centrafrique (fin adepte de la manducation). Certes, Bokassa 1er n'avait jamais souffert de pingrerie : des plaquettes de diamants pour célébrer l'internationale de la roture ont témoigné de son amitié et contribué à la perte des présidentielles en 1981.

C'est pourquoi l'opposition « démocratique » algérienne (et il en est de même des islamistes qui eux préfèrent les salons de Djeddah, de Riyad ou des Emirats pour phosphorer), campée sur une posture qui ne semble pas avoir intégré la fin de la Guerre Froide, est coincée dans une tactique surannée, teintée de tribalisme ethniciste, incapable de saisir la portée des événements qui se déroulent à nos portes.

Son attitude est d'ailleurs d'autant plus imprudente que la France et l'Europe plus attachées à leurs intérêts qu'à la défense des idéaux universels, lâcheraient sans retenue (Ben Ali et Moubarak ont été jetés sans ménagement après usage) toutes les factions qui se réclameraient explicitement de ses valeurs et se prévaudraient de leur soutien. Certains reprochaient à demi-mot à la France son si peu d'empressement à manifester de manière plus claire « la solidarité due à un peuple qui combat pour le changement démocratique ».

Les « décideurs » algériens, à mi-chemin entre deux incantations d'« irréversibilités » (le socialisme et le marché), sont quant à eux totalement incapables de voir plus loin que le prix du baril coté à Amsterdam et du dollar à Wall Street. Depuis longtemps pour eux ne compte que ce qui se compte : ils s'occupent des chiffres et abandonnent les lettres aux bavards.

Sûrement, leur tour viendra, c'est inévitable, mais peut-être pas suivant le chemin emprunté par la Révolution tunisienne. L'avenir est gros d'une infinité de surprises… Bouteflika a pris la décision jeudi 03 février de supprimer l'état d'urgence et, ce faisant, l'agitation des « démocrates » lui offre l'occasion de faire l'économie d'une contradiction : il ne pouvait en effet prétendre avoir pacifié le pays et en même temps maintenir une disposition liberticide qui suppose le contraire. Le président algérien a perdu le Nobel de la Paix, mais pas le sens des transactions.

Toutefois, à trop vouloir faire rentrer le cas algérien dans le moule révolutionnaire égypto-tunisien, on finit par perdre de vue les spécificités historiques des différents pays arabes soulignés à raison par beaucoup d'observateurs. A titre d'exemple il suffirait de comparer, sans être naïf, l'image de l'armée dans les trois pays : bien que de fonctions et de poids respectifs bien différents, elle est adulée par les manifestants en Tunisie et en Egypte. Et même les Européens, les Américains et les Israéliens, inaptes à lire les événements et s'accrochant à tout ce qui peut arrêter la folle embardée de l'histoire, y veulent voir un gage de stabilité des régimes. C'est totalement inverse en Algérie où, par-delà les formules diplomatiques convenues et désormais très prudentes, le retrait de l'armée du pouvoir réjouirait les plus larges couches des classes politiques occidentales, françaises en particulier.

On se souvient des digressions de Kouchner, faisant mine de ne pas avoir vu que sous les cendres il ne restait plus beaucoup de braises, attendait la disparition de la « génération de novembre », pour envisager des relations plus cordiales entre la France et l'Algérie.

On voit mal les militants du RCD (et encore moins ceux du MAK) fraterniser avec l'armée algérienne et ses généraux.

Les généraux actuels de l'armée égyptienne n'ont plus rien à voir avec les officiers qui ont renversé la monarchie (en 1952) et nationalisé le Canal (en 1956). Sadate a « ouvert » la porte qui convient pour laisser entrer les loups dans la bergerie. Il l'a payé de sa vie. Les Nubiens dit-on compensent toujours par un ego démesuré. Son discours à la Knesset en novembre 1977 prêterait rétrospectivement à rire s'il n'avait pas contribué à bloquer toute solution à la tragédie palestinienne [7].

Un Nobel de la paix ? Quelle paix ?

L'armée algérienne, elle, ne forme pas une aristocratie militaire complètement dissociée du peuple lequel n'a pas totalement épuisé le carburant issu de l'histoire algérienne. Les nostalgiques de « l'Algérie française », qui ont mis la main sur de nombreux leviers à Paris occupés à régler leurs comptes avec l'histoire et la « trahison » de Gaulle, hantés par une revanche historique futile, une « guerre des mémoires » anachronique et un FLN qui n'existe plus, n'ont pas facilité la transition vers un régime plus accommodant. Mitterrand, travaillant au corps à corps son « ami » Chadli, avait été plus malin, mais guère plus intelligent.

Par-dessus tout, il y a cette calamité pétrolière et ces richesses naturelles qui permettent au coup par coup de combler les contradictions entre un pouvoir sans visions et ses inconséquences.

Pour résumer, en Algérie, le « système » et ses adversaires (islamistes et « démocrates ») sont les deux versants hérités d'une conflictualité idéologique et géostratégique dépassée. L'Algérie est aujourd'hui en panne d'histoire. La société politique est encore au congélateur et le peuple, s'il supporte mal sa pauvreté dans un pays si riche, ne se sent pas vraiment concerné par des escarmouches dont il voit bien que les dès sont pipés. [8]

Il n'oublie pas que certains de ces « démocrates » en compagnie de Chadli, soutenus par la France, par l'Europe et même par le Vatican, étaient disposés à gouverner avec les islamistes algériens en 1991. Et beaucoup d'entre eux s'étaient mobilisés sur le Vieux Continent pour la défense d'une démocratie au pouvoir en compagnie de criminels qui ont du sang d'Algériens sur les mains. Bien qu'ils s'en défendent, il n'est pas fortuit que Ali Benhadj ait rejoint les démocrates dans la rue le 12 février.

L'Algérie de 1954 et de 1962 n'existe (presque) plus. Boumediene est mort depuis plus de 30 ans et les démocrates algériens s'acharnent à tuer les morts…

Le RCD n'a décidément pas de chance. Les hasards de l'homonymie sont imprévisibles. Ce n'est pas le moment de se réclamer de ce parti en Tunisie aujourd'hui… On y risquerait plus que le ridicule.

Toutes les révolutions, nous l'avons noté, dégénèrent en administration des cultes et en sacerdoces. La démocratie, en son principe est, par les contre-pouvoirs qu'elle met en œuvre, la seule révolution permanente concevable. Mais elle est aussi, nous le voyons aussi pervertie en ce qu'elle se dégrade en formes sans contenu entre les mains de puissants conservateurs qui s'en servent pour conserver. Seules les innovations quantitatives sont favorisées car elles accroissent les pouvoirs sans bouleverser la structure qualitative des ordres politiques.

La démocratie est une boîte vide sans la République. [9]

L'opposition algérienne, transparente et prévisible, perpétuellement non-voyante, reproduit sans imagination et de manière pavlovienne des archétypes éculés.

Merveilleuse et bienheureuse Tunisie qui brise et ouvre le champ des possibles. Quels que soit la suite que les Tunisiens veulent ou peuvent donner à leur mouvement, une étape primordiale a été franchie. Un verrou a sauté et va beaucoup emporter.

De Sidi Bouzid au Caire.« Faire d'un tas un Tout » (R. Debray)

On sait que les « démocraties » que l'Occident a mises en place ou dont il a favorisé l'éclosion dans les pays du sud, sont des artefacts qui commencent en pantalonnades et finissent en dictatures. Il y a les belles théories, les envolées lyriques dont on berce les électeurs. Et il y a l'ordinaire des faits.

Fixons une idée simple : Ceux qui s'imaginent que les peuples tunisien et égyptien sont en train de mettre en place de manière mimétique une « authentique » démocratie à l'occidentale qui les rendraient fréquentables dans le concert des nations civilisées, se fourvoient. Les sociétés politiques sont désormais sous le contrôle d'oligarchies transnationales sur lesquelles les peuples et leurs institutions nationales n'ont plus qu'une prise formelle. C'est même l'inverse qu'on déplore : les Etats sont devenus des variables – parmi d'autres - dans les équations d'oligarchies privées omnipotentes.

De même qu'une part importante du monde, et c'est vrai de l'Asie et de l'Amérique Latine, prend peu à peu son autonomie économique et financière à l'égard de l'Ancien monde européen et nord américain, le monde arabe et musulman est en train de reprendre doucement et quoi qu'on dise pacifiquement, son destin en main à une vitesse qui va beaucoup surprendre.

Tous les problèmes, économiques et géopolitiques non résolus vont être réinitialisés dans des termes qui rendraient les solutions du passé complètement désuètes.

«Nous allons vous rendre le pire des services, nous allons vous priver d'ennemi !», avait lancé avec une pointe d'ironie en 1989, le diplomate soviétique Alexandre Arbatov. Il n'est plus possible de fabriquer des ennemis imaginaires pour à la fois entretenir artificiellement le système militaro-industriel que dénonçait naguère Eisenhower et maintenir dans le monde un statu quo intenable et des relations de subordination inacceptables.

On ne peut tout à la fois vouloir UN monde et entretenir DES mondes cloisonnés et étanches les uns pour les autres. On ne peut vouloir un monde débarrassé des barrières et édifier des Murs à l'infini empêchant l'essentiel de circuler. On ne peut être libéral quand il faut pour les autres et terriblement sourcilleux quand on est chez soi, entre soi…

L'opinion mondiale - qui ne se résume plus à l'opinion occidentale - ne le permettrait plus. Le recours à la force n'est dorénavant efficace ni militairement, ni économiquement, ni politiquement. Les fiascos afghan et irakien le montrent à l'évidence.

Ce genre de guerre aussi a gagné en obsolescence.

De plus, les moyens actuels ne sont plus à la hauteur des objectifs.

Les Etats-Unis, unique économie-monde, ne disposent plus des ressources suffisantes pour continuer à porter à bout de bras des relations internationales asymétriques, organisées autour d'une hyper-puissance surendettée qui ne peut plus financer sa domination en recyclant l'épargne mondiale à son avantage. Au reste, le modèle économique sur lequel tout le dispositif repose est largement hors de prix (en termes purement écologiques de consommation d'énergie et de matières premières per capita).

Les réserves considérables d'eurodollars et de bons du trésor US, accumulées par les banques centrales de toute la planète, placent les créanciers hors d'état de déclarer le dollar monnaie de singe et l'insolvabilité de la machine qui le produit, sous peine de menacer leur patrimoine ainsi que la stabilité de l'économie mondiale et la prospérité des nations.

Les secousses enregistrées ces deux dernières années témoignent de ce que le financement par l'endettement (des Etats, des banques, des entreprises et des ménages) n'est plus concevable.

C'est dans ce cadre et de ce point de vue qu'il convient de considérer les événements récents en Tunisie et surtout en Egypte, plaque tournante géostratégique de première importance. A cheval sur deux continents et au carrefour de plusieurs mers, l'Egypte contrôle plus de 8% du commerce mondial qui transite par le Canal de Suez, dont une part très importante du transport des hydrocarbures venant du Golfe. Ce pays de 80 millions d'habitants (huit fois la Tunisie) ne peut continuer à dépendre du Canal, du tourisme et de ce fleuve vital et multimillénaire qu'est le Nil. Le misérable milliard et demi de dollars d'aide que lui apporte son allié américain (en gratification de sa reconnaissance d'Israël) n'est ni suffisant ni pérenne [9]. D'autant moins d'ailleurs que pour l'essentiel il repart (avant même d'arriver) en importations d'armes (« crédits liés »). Le reste s'évanouit – comme dans les nombreux pays similaires - dans les méandres de la corruption.

Tératologies urbaines.

Les mouvements auxquels on assiste obéissent aux règles de la tragédie classique, énoncées il y a fort longtemps par l'abbé d'Aubignac : unité de temps, unité de lieu, unité d'action. En l'occurrence, c'est la ville qui paraît s'imposer comme le contexte dans lesquels ils se produisent. Mais ce n'est qu'une apparence.

Il est certes vrai que les pays du sud sont malades de la ville. Le Caire est devenu un monstre ingouvernable de 20 millions d'habitants. Comme Lima, Lagos, Sao Paolo, Kinshasa, Mumbaï, ou Djakarta. Et la multiplication de nouvelles villes (pas seulement en Algérie), sous le prétexte de résolution des problèmes de l'habitat, capitalise les futures conflagrations devant lesquels les désordres banlieusards européens ne sont que péripéties mineures.

Le théâtre c'est la ville, mais les acteurs et les contradictions qui les broient viennent de la terre qui ne peut plus nourrir ses enfants. Ce qui accroît la dépendance alimentaire de ces pays à l'égard de marchés mondiaux soumis aux aléas climatiques et dominés par les spéculateurs. Le blé et le maïs ont vu leur cours monter d'environ 50% en 2010 sur la Bourse des matières premières de Chicago.

À maintes occasions Mohamed Harbi (avec d'autres chercheurs) a rappelé combien le creuset et aussi le moteur historique de la dynamique historique de l'Algérie réside dans le paysannat, au cœur du monde rural. L'ignorer, c'est s'interdire de savoir, de comprendre et aussi d'agir. C'est fragiliser toute possibilité de développement conforme aux besoins des populations.

Le soulèvement tunisien est parti de Menzel Bouzayane, de Regueb (région de Sidi Bouzid) et de Thala (Kasserine), pas de Menzel Bourguiba, de Monastir ou de La Goulette. Il est arrivé à Tunis où il a tout bouleversé. Il n'y a pas commencé, sinon pour les téléspectateurs les stratèges en chambre, les internautes autistes et les gouvernants imprévoyants.

L'acception de la notion de « rurbanisation » illustre par sa bisémie la distance qu'il y a entre l'urbanisation et l'urbanité : urbanisation des campagnes en Europe sous la pression du « tribu foncier urbain » (A. Lipietz, 1974) et de la densité des réseaux de communication, d'une part et ruralisation des villes en Algérie (et tous les pays similaires) où l'exode des paysans chassés par l'histoire, l'insécurité et la détérioration des termes de l'échange, d'autre part. Toute la vallée et le delta du Nil souffrent de ces maux structurels qu'aucune réformette ni cosmétique gouvernementale dilatoire à l'intention des médias ne suffirait à soulager.

La vision limitée des gouvernant porte à faire encore des villes, alors qu'il conviendrait faire des territoires où culture, économie et environnement vivent en bonne intelligence.

Une révolution, ça coûte.

Les événements de Tunisie et d'Egypte ont un impact stratégique difficile pour le moment à évaluer. Cela, il est facile de l'admettre. Il importe de préciser en quoi.

1.- Les images de la guerre et la guerre des images. Les TIC et les flics.

« Ceux qui parlent ne savent pas, ceux qui savent ne parlent pas. » Talleyrand.

Des moyens humains, matériels, financiers, logiciels, organisationnels… considérables ont été mobilisés pour construire des images et surtout pour les faire partager par le plus grand nombre à l'échelle locale, nationale, régionale et mondiale. Pour les besoins de notre propos, ces images concernent les pays arabes, l'Islam, l'émigration de populations venues de ces pays en Europe et en Amérique du nord, ainsi que les conflits actuellement en cours au Proche Orient… Le tout permettant de réactualiser et de réinterpréter l'histoire de manière continue tout en supportant les initiatives politiques et militaires entreprises dans cette région du monde.

Toutes ces constructions dispendieuses, sont aujourd'hui pour l'essentiel obsolètes ou fortement altérées. Cela explique les réactions confuses et maladroites des exécutifs. La tâche est d'autant plus ardue que le changement en cours était largement imprévu et que les actions dépêchées dans l'urgence pour le comprendre et pour l'endiguer se mélangent au point qu'il est malaisé de mesurer la part respective des opérations entreprises par une multitudes d'acteurs qui ne se connaissent pas nécessairement entre eux et qui ne visent pas les mêmes objectifs. Les Etats-Unis d'Occident, chers à Churchill (Zürich, sept. 1946), à Edouard Balladur (Fayard, 2007) et au groupe Bilderberg (mai 1954), malgré de nets progrès surtout après l'effondrement de l'URSS, restent encore à l'état de chantier.

De plus, les structures fayoliennes qui prennent le pas sur les autres dans un contexte de crise, favorisent les confusions entre les services producteurs d'informations et les caisses de résonance chargées de la propagande, ce qui perturbe gravement les protocoles d'évaluation.

Pour bien mesurer de quoi il est ici question, il faut garder à l'esprit que les formations sociales occidentales sont très complexes, le pouvoir (compte tenu de ce nous avions écrit plus haut) est encore difracté et que les représentations échafaudées ont une inertie très importante, d'autant que les espaces (culturels, cultuels, politiques, économiques, nationaux et régionaux) sont très vastes et les interfaces de médiation ne sont pas (encore) complètement intégrées et hiérarchisées en une totalité cohérente maîtrisable.

Des efforts dans ce sens sont déployés pour accroître la réactivité et le contrôle des systèmes et des procédures. Il est toutefois prématuré d'anticiper les résultats de la course entre les TIC et les flics. Les insurgés en Egypte et en Tunisie ont témoigné une labilité que les petits soldats mobilisés par Twitter pour les suivre y ont laissé beaucoup d'énergie. En vain, nous l'avons dit, puisqu'en confondant chaleur et température, on ne peut maîtriser le feu en courrant derrière la fumée.

Quoi qu'il en soit, le coût de la réfection des images sera exorbitant.

2.- Les impacts géo-économiques.

On a très longuement insisté – à raison - sur la place occupée par les activités économiques (en particuliers touristiques) en Tunisie et en Egypte. Cependant, on a eu tort de ne considérer les événements politiques qu'exclusivement sous l'impact (négatif) qu'il allait avoir sur l'économie des deux pays cités. Ils en ont aussi sur les entreprises étrangères qui s'y sont implantées.

Le tourisme tunisien contribue à hauteur de plus de 6% au PIB et emploie quelque 400.000 personnes (environ 8.5% de la population active), avait procuré en 2010 des recettes de l'ordre de 1,8 milliard d'euros. Il a connu une chute de 40% en janvier. Les images d'actualité montrent les complexes touristiques désertés par leurs clients européens prestement évacués vers leurs pays. Les tourismes tunisien et égyptien sont fragiles à la fois parce dépendant de clientèles étrangères qu'ils ne contrôlent pas et aussi parce que ces activités sont monothématiques.

Toutefois, si le tourisme tunisien peut espérer compenser partiellement les contrecoups de la « révolution du jasmin », il ne sera pas de même du tourisme égyptien qui est surtout un tourisme d'hiver. Plus d'un million de touristes étrangers a quitté l'Egypte. Un manque à gagner d'un milliard de dollars pour le pays et, sur la période, l'économie égyptienne a perdu 3.1 Mds$. Le Crédit agricole français a estimé les pertes du pays au rythme de 310 millions de dollars par jour. L'impact sur le taux de croissance de ce pays sera élevé : 3,7% au lieu des 5,3% attendus. On mesure l'importance de ces chiffres quand on sait que 40% des Egyptiens tentent de survivre avec moins de l'équivalent de deux dollars (1,4 euro) par jour.

Les agences de notations Moody's et Standard & Poor viennent de baisser la note de ce pays. Cette attitude va avoir pour conséquence l'augmentation des coûts financiers de l'Egypte dont le budget et l'économie n'avaient pas besoin, précisément en ces circonstances. Au lieu de l'aider les bayeurs de fonds internationaux l'enfoncent comme ils ont enfoncé les « PIIGS ».

La Tunisie est le premier exportateur industriel d'Afrique en valeur absolue — elle est ainsi passée devant l'Afrique du Sud en 1999 — alors que près de 70% des exportations du secteur sont le fait d'entreprises bénéficiant depuis 1972 d'un statut offshore leur donnant le droit de travailler pour le marché européen. Les secteurs du textile et de l'agroalimentaire représentent 50% de la production et 60% de l'emploi de l'industrie manufacturière. Par exemple, un soutien-gorge sur trois en France est de fabrication tunisienne. [11]

Comme nous l'avions précédemment souligné, l'ouverture à l'Est (PECO), la dynamique économique et commerciale des pays émergeants (d'Asie surtout) ainsi que la crise financière internationale ont gravement affecté l'économie et la société tunisienne, expliquant pour une part le bouleversement qu'elle vient de connaître.

La situation économique des deux pays est dans un contexte d'urgence et l'impact de leur libération pourrait se retourner contre les efforts déployés pour se libérer, faisant le jeu à la fois des Ben Ali et des Moubarak, mais aussi de ceux qui dans le monde et dans le voisinage se réjouiraient de l'échec de ces mouvements populaires : les « Je vous l'avais bien dit… » habituels des bénéficiaires des régimes disparus qui espèrent toujours revenir.

Il ne faut pas oublier que les dictateurs partis, les dictatures et les groupes sociaux qui en profitaient sont toujours là, introduits dans tous les rouages de l'administration, de l'économie et des services de sécurité. Et même toujours aux commandes en Egypte.

L'impératif est de faire face tout de suite. Viendront en leurs temps les restructurations stratégiques.

C'est dans ce contexte qu'il conviendrait de situer le rôle qui devrait ou pourrait être celui de l'Algérie, peuple et gouvernants.

Le Maghreb et la Méditerranée Occidentale pour horizon.

« Tu dois donc tu peux » (Kant)

Si on laisse de côte les formules diplomatiques convenues, ni le gouvernement algérien ni son opposition ne se sont placés à la hauteur qui convient dans la crise tunisienne.

Pressés par des questions subalternes, les uns en restant prudemment dans une sorte de quant à soi frileux et les autres ont raté une occasion unique de défendre leurs valeurs et leur point de vue dans une cadre plus large que les querelles domestiques qui au fond n'intéressent personne, pas même ceux qui en France ont des compte à rendre avec l'histoire.

Pourtant, il aurait été habile et plus efficace de la part de l'opposition, non de s'attaquer de manière frontale et tout compte fait stérile au « système », mais de brandir le soutien des Algériens au peuple tunisien. Les « décideurs » auraient sûrement été mis en difficulté. L'audience d'une opposition bardée de slogans non pas « contre », mais « pour » aurait été plus élevée et le peuple algérien plus réceptif.

Cela situe le niveau d'immaturité du débat politique en Algérie.

Ni au sommet de l'Etat, ni dans les méandres illisibles des partis (aux affaires ou dans l'opposition), ni même dans la « société civile », on ne trouve des analyses distanciées replaçant l'actualité tunisienne et égyptienne dans leur profondeur stratégique.

On se souvient de l'époque d'un peuple algérien politisé qui exprimait avec chaleur leur soutien aux peuples en lutte : le Viêt-Nam, le Chili, l'Afrique du Sud de l'apartheid… et bien sûr la Palestine. L'encadrement politique du FLN et des organisations de masses ne suffit à l'expliquer. La post-rationalisation anachronique est toujours facile…

Officiels, parlementaires, journalistes européens, intéressés ou pas, se bousculent ces jours-ci, la Tunisie aux fins d'évaluer d'abord la situation et de proposer ensuite aide et assistance. La Tunisie va être ajoutée à la liste des pays pilotes mûrs pour accéder à une démocratie, liste qui comprenait 12 pays.

Une conférence s'est tenue pour le 10 février aux chevets du tourisme tunisien. Présent à la conférence de presse, le président de la fédération turque des agences de voyages (TURSAB) Bassaran Ulosoy a dit vouloir "tendre la main aux amis tunisiens qui traversent une période difficile". A la tête d'une organisation regroupant 6.500 agences de voyage, il a promis de faire passer le nombre de touristes turcs en Tunisie de 20.000 actuellement à 200.000 dans les deux années à venir.

Où est l'Algérie ? Où sont les pays du Maghreb ?

Pourtant, les événements de Tunisie ne concernent pas seulement ce pays.

C'est peut-être encore trop tôt pour ce qui concerne l'Egypte, mais ne serait-ce pas l'occasion de réanimer un cadavre : le Maghreb ?

Les rivalités inter-arabes, souvent déplorés, relèvent de l'infantilisme. Si le peuple tunisien (et le peuple égyptien l'exprime de manière encore plus nette depuis quelques jours) est jaloux de son indépendance et de sa capacité de prendre seul son destin en main, il l'est encore plus à l'égard de ses grands voisins de l'est et de l'ouest dont les richesses naturelles portent parfois à une suffisance déplacée à son l'égard. Tout au moins lui arrive-t-il de s'en convaincre. Sans simplifier cette histoire très complexe, dont Tunis ne peut se dire totalement innocente, Tripoli à plusieurs reprises a franchi les limites du bon voisinage.

Il s'ensuit que les autorités algériennes devraient exprimer leur soutien, ferme et unilatéral, avec un respect scrupuleux de cette exigence qui est d'abord prescrite par les règles internationales, mais aussi par le respect que nous devons à notre voisin qui doit être encore plus chatouilleux sur cette question dans le contexte actuel. Evidemment, cette disponibilité ne devrait avoir qu'un seul horizon : la construction maghrébine sur des bases autrement plus solides que les symboles superficiels et les décisions sans lendemains.

La Révolution tunisienne constitue une conjoncture unique pour relancer la construction maghrébine sous l'aune de la solidarité. Il n'en est que temps.

Les médias ont épargné le Maroc qui y trouverait son compte, car, contrairement aux prévisions et aux souhaits, dans le jeu « à qui le tour? » c'est surtout la monarchie de Mohamed VI qui, la plus proche de ce que fut le système Ben Ali, est sur sellette.

La Conférence de Carthage doit se tenir très bientôt. En amont de cette réunion, des contacts seraient opportunément pris entre nos deux pays. Il serait bien surprenant que la Tunisie dédaigne la main tendue de ses voisins.

N'oublions pas que la France premier investisseur étranger en Tunisie. Les entreprises françaises représentent la moitié des entreprises étrangères implantées dans ce pays.

Si la France et l'Europe veulent jouer un rôle positif, différent et même au rebours du rôle qu'elles ont joué jusqu'alors, et ceci à leur avantage, ils devront plutôt favoriser et contribuer à cette évolution régionale qui peut enclencher un autre processus moribond : celui de l'UPM, via l'intégration de la Méditerranée Occidentale, dite « 5+5 ».

Sous les braises et la fumée, la Palestine.

Evidemment, ce n'est pas pour libérer la Palestine que les foules se sont levées en Tunisie, en Egypte, en Jordanie et un peu partout dans le monde arabe. Mais ignorer les liens de causalité qui se sont tissés à travers le temps entre Israël et l'Occident qui le soutient d'un côté et le monde arabe et musulman de l'autre, avec toutes les humiliations subies depuis plus d'un demi-siècle, voire depuis la fin de la Question d'Orient… c'est passer à côté de l'essentiel quand il s'agit de comprendre le tremblement de terre qui vient de secouer le monde arabe, menaçant les régimes jordanien, yéménite, l'Autorité Palestinienne et tout le Proche Orient.

Ça craque de partout : mercredi 26 janvier, le Liban a nouveau premier ministre proche du Hezbollah et de ses alliés et accroît son influence sur l'Etat libanais. L'accusation de meurtre et d'assassinat (celui d'Hariri) contre la Syrie a fait long feu.

L'attaque du sud-Liban en 2006 et celle de Ghaza en décembre 2009 ont démontré les limites de la politique de la canonnière. Israël y a laissé une image peu flatteuse.

L'attaque de la flottille de paix sous pavillon turc a provoqué une rupture gravissime avec la Turquie, le seul véritable allié d'Israël après la fin de la dynastie des Pahlavies en 1979.

L'administration Bush a commis erreurs sur erreurs (parfaitement logiques, étant donnés les prémisses) en débarrassant l'Iran de ses ennemis afghans à l'est et irakien au sud-ouest et, ce faisant en déstabilisant l'Arabie Saoudite et le Pakistan, deux traditionnels et fidèles amis de Washington. Le couronnement de cette politique internationale, cautionnée par l'Amérique et l'Europe, aboutit à la faillite du Processus d'Oslo et de Barcelone achevant dans l'œuf l'UPM lancée par Nicolas Sarkozy, des œuvres de Peres et Barak (pas celui-là, l'autre).

Certes, fondé à se croire tout puissant au point de se passer d'interlocuteurs, les meilleures négociations de paix sont celles qu'on engage avec soi-même. Cependant, l'évolution de la situation au Proche-Orient rendra peut-être bientôt le concept même de reconnaissance mutuelle totalement dépassé…

L'Egypte est l'un des pivots, garant des intérêts occidentaux au Proche Orient. Sa neutralisation a jusque-là dispensé Israël de quêter la reconnaissance des autres pays arabes, se permettant même de les ignorer, voire de les mépriser. Son effondrement rendrait obsolète toute la carte de géographie politique de cette région. Passons sur le gaz que fournit l'Egypte à son voisin (40% de ses besoins) en attendant que celui-ci ait rendu exploitables les gisements off shore au large des côtes israéliennes.

La chute de Moubarak ramène Israël et ses soutiens aux réalités.

Comment interpréter autrement la panique qui a saisi Israël, l'amenant à interpeller dès le début du mois de février les Européens et les Américains pour qu'ils interviennent en sorte que rien d'irréversible ne se produise.

Comment interpréter autrement les propos anxieux de Shimon Peres : « L'Histoire a perdu patience. Tout arrive à la vitesse du galop. Soit nous prenons le vent de l'Histoire, soit elle se fera sans nous. D'aucuns conseillent de laisser passer la tempête mais personne ne sait quand elle prendra fin », avertit M. Pérès en ouverture de la 11ème conférence internationale sur la sécurité à Herzliya, près de Tel-Aviv, dimanche 06 février.

« Il ajoute (menaçant ?) : « la paix est désormais cruciale pour nos voisins, pas seulement pour nous; un véritable compromis, aussi douloureux soit il, sera préférable à ce qui adviendra ».

Israël, devrait savoir, quel que soit le soutien que lui apporte les réseaux sionistes intégrés à l'échelle mondiale, que son existence tient beaucoup à la puissance américaine et (accessoirement) européenne. Il serait avisé de reconsidérer les relations qu'il entretient avec son environnement régional, en particulier avec les Palestiniens dont il ne devrait pas ignorer l'existence – en continuant à bafouer le droit international et les résolutions des Nations Unies. De Davos, Bill Clinton, un ami d'Israël, l'a rappelé à raison.

Le monde change et les rapports de forces aussi.

Dori Gold, ancien ambassadeur d'Israël à l'ONU et proche du chef du gouvernement, exprime ce souci par le reproche dans la presse qu'il adresse au président Obama, de commettre la même « erreur » que son prédécesseur Jimmy Carter en 1979 face à la Révolution iranienne, en refusant de soutenir un régime en place au nom de la démocratie. « Tout un chacun comprend que Moubarak doit partir. Mais nous pouvions nous attendre à ce que Washington n'abandonne pas un homme qui depuis des décennies était son meilleur appui, un véritable barrage contre l'islamisme », écrit le quotidien à grand tirage Yediot Aharonot.

Et il termine par cette question lancinante : « Si les Américains se conduisent de la sorte vis-à-vis du régime égyptien, que devront penser leurs autres alliés dans la région ? ».

N'est-ce pas la suite logique de la politique suivie ? Les négociations de paix israélo-palestiniennes sont bloquées depuis septembre.

Est-il possible de parler de paix et continuer sa politique de « fait accompli », en multipliant les implantations dans les « territoires occupés » et dans la ville de Jérusalem et priver ainsi de sens et d'objet toute négociation ?

Est-il possible de parler de paix et de laisser la mairie israélienne de Jérusalem approuver lundi 07 février un projet de construction de 16 nouveaux logements pour des colons israéliens dans le quartier palestinien de Cheikh Jarrah à Jérusalem-Est occupée et annexée ?

Tout cela procède d'un cynisme appuyé sur une illusion de puissance. Il serait extrêmement imprudent de recourir à la force et d'envisager par exemple une nouvelle « guerre des six jours » : le mythe du « petit peuple génial et sans défense, martyrisé depuis le Golgotha et chassé de partout, entouré par un océan de barbares » a vécu… Le contexte du Proche Orient et les rapports de forces réels d'aujourd'hui n'ont plus rien à voir avec celui de la fin des années soixante ou du début des années 1970. Les menaces de guerre qu'Israël ne manquera pas de brandir n'auront aucun impact sur l'inéluctable aboutissement d'une évolution qui n'est qu'à ses débuts. La puissance n'a jamais servi durablement l'intelligence.

Le peuple égyptien sait très bien que l'établissement des liens diplomatiques avec son voisin et la « politique d'ouverture » pratiquée concomitamment, ont marqué le début de ses ennuis et de son abaissement.

Que l'« Etat hébreu » ne se fasse aucune illusion : Les révolutions populaires de Tunisie et d'Egypte remettront inévitablement en cause la géopolitique construite par Begin et Sadate.

Jusque-là la machine médiatique mondiale ne rate pas une occasion de rappeler qu'Israël est la seule et authentique démocratie du Proche-Orient. A la suite des bouleversements que nous venons de connaître, les regards seront braqués sur cette gigantesque bastide surarmée, les kipas sous les casques. Privés cruellement d'ennemis, ce seront peut-être les Israéliens qui commenceront d'ouvrir les yeux, brisant le moule sécuritaire et antagoniste, le Mur derrière lequel on les a isolés du reste du monde et de leurs voisins, pour s'interroger sur quelles fins au juste il sert… L'identité peut aussi se construire en dehors des casernes et le martyre juif – comme tous les autres martyres - sont l'affaire de l'humanité.

En guise de conclusion.

Il peut surprendre de concevoir, tant la pensée unique pénètre si profondément en Occident les esprits les plus sagaces, que l'exemple ainsi donné par les peuples tunisien et égyptien – plus encore qu'aux autres peuples arabes et musulmans - serait davantage opportun adressé aux peuples européens et nord-américains, les invitant à se défaire de systèmes politiques et économiques aliénants et asservissants. Beaucoup le pensent.

Plus qu'un malaise dérivé du soutien coupable apporté à ces satrapes, est-ce peut-être à cette peur de l'avenir que l'on doit les confusions européennes par ailleurs complètement incapables – ayant laissé à Washington seul le gouvernail occidental – d'avoir la moindre influence sur les soubresauts qui affecte leurs voisins méridionaux ?

Appliquées à séparer et même à opposer les peuples, tout en menaçant les équilibres naturels de la planète, et ceci afin qu'on ne découvre pas leurs ressorts intimes, les machines qui œuvrent au nord et au sud sont les mêmes et procèdent de la même politique appliquée à toute la planète. Comment ne pas comprendre la crainte de voir une contestation de même nature et sous la même forme, gagner peu à peu le nord et teindre l'agitation sociale que les déficits, l'endettement et la dégradation de l'économie sociale affectent d'un potentiel très élevé.

C'est ce lien que l'information mondialisée s'applique aujourd'hui à masquer en prétendant que la Tunisie et l'Egypte, chassant leurs dictateurs, sont sur « notre » voie, celle de la liberté et de la démocratie et de ce fait valide « notre » modèle. « Ils portent poitrine nue nos valeurs » s'extasie Max Gallo. On se rassure comme on peut. C'est d'autant plus ironique que l'Occident a tout fait pour que ces peuples n'y parviennent pas [12]. Les Ben Ali et les Moubarak sont leurs œuvres. Mieux : il leur en coûtera de tenter d'y parvenir. Il est à peu près certain que si ces pays devaient prendre effectivement en charge leur destin et si les gouvernements qui succèderont s'avisaient d'adopter une politique économique incompatible avec les intérêts des transnationale, leurs exportations auraient du mal à pénétrer en Europe, les flux de clientèles et d'investissements s'en détourneraient et le tourisme de masse (qui pèse tant dans les PIB) s'orienterait peu à peu vers d'autres destinations.

Pris au dépourvu devant des événements qu'ils redoutent, en ce qu'ils sont incapables de les déchiffrer, par-delà les contradictions entre la démocratie qu'ils professent et les dictatures qu'ils instaurent, confortent ou tolèrent, les occidentaux ont recours à un schéma tocquevillien que Aron, profitant de l'essoufflement de la pensée marxiste, a ressorti de la naphtaline pour toute une génération d'anti-sartristes militants et d'anticommunistes primaires : l'Occident a aidé ces peuples à se développer au point qu'ils en soient arrivés à se révolter pour accéder à la démocratie.

Ainsi, dans ce schéma linéaire indémodable, l'Occident fournit aux Tunisiens et aux Egyptiens les dictateurs à l'ombre desquels il les a méthodiquement exploités et revendique cyniquement a posteriori le privilège d'avoir contribué, par ce même fait, philosophiquement, politiquement et économiquement à leur émancipation.

Comme on le voit, cette topologie de corsaires, cette escroquerie intellectuelle ne manque pas d'aplomb et tient plus de la vaccination pasteurienne que de l'anthropologie politique.

Il faudra bien que les Occidentaux se fassent à l'idée d'un monde partagé dont ils ne sont qu'une province. Les deux ou trois siècles à venir – qu'est-ce ce laps de temps dans l'histoire de l'humanité ? – nous devrions tous réfléchir à un monde dont le polymorphisme sera le produit d'une dynamique complexe, source intarissable de surprises et ne procèdera pas, comme c'est le cas depuis janvier 1492, d'un paradigme unique.

La très modeste et très pacifique Tunisie montre la voie.

« Ali Baba est parti, mais pas les 40 voleurs! » Trait populaire qui circule entre Bab el Khadra et Sidi Bouzid.

NOTES.

[1] L'exploration des archives révèle des perles (et de graves inconséquences). Toutefois, si les engagements de l'Europe et de l'Amérique aux côtés des dictatures se reflètent dans les discours, comme on le voit dans l'extrait ci-dessous, il y aurait une certaine malhonnêteté intellectuelle à reprendre sans nuances, en les tenant pour des démonstrations, tous les échanges sans distinguer ceux qui relèvent des simples formes diplomatiques, considérées par certains (on veut bien l'admettre mais sans plus) comme le degré ultime de l'hypocrisie.

Ecoutons le président français: – « Je voudrais d'abord dire combien je suis heureux d'être en Egypte, à côté du Président Moubarak. C'est notre troisième rencontre, puisque je l'avais reçu à Paris au mois d'août, j'ai eu l'occasion d'avoir un long entretien avec lui à Charm el-Cheikh et un entretien aujourd'hui. Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères, s'est lui-même rendu à deux reprises déjà en Egypte. C'est dire combien la France considère le rôle de l'Egypte essentiel et le rôle du Président Moubarak capital, non seulement pour les dossiers de la région qu'il connaît parfaitement mais pour cette question essentielle pour l'avenir du monde d'un dialogue entre l'Orient et l'Occident qui est une question absolument fondamentale. Et je voudrais dire au Président Moubarak combien j'apprécie son expérience, sa sagesse et la vision modérée qui est la sienne sur les grands dossiers où il privilégie le dialogue, le consensus, la rencontre dans une région qui a besoin de paix et qui n'a pas besoin de guerre. L'Egypte est, pour la France, un partenaire essentiel et le Président Moubarak est, pour nous, un ami. » (Le Caire, 30 décembre 2007).

[2] Les chefs d'Etat européens se sentent autorisés à plus d'audace individuellement et plus clairs le lendemain collectivement. « Seule une transition rapide et ordonnée vers un gouvernement à représentation élargie permettra de surmonter les défis auxquels l'Egypte doit faire face aujourd'hui. Ce processus de transition doit commencer dès maintenant », ont affirmé Nicolas Sarkozy, Angela Merkel, David Cameron, Silvio Berlusconi et José Luis Rodriguez Zapatero dans une déclaration conjointe rendue publique le jeudi 03 février. « Les Egyptiens doivent pouvoir exercer librement et pacifiquement leur droit de manifester et bénéficier de la protection des forces de sécurité », ont-il souligné, faisant part de leur « extrême préoccupation » face à la crise égyptienne. Jeannette Bougrab a été tancée pour ne pas avoir respecté la hiérarchie qui va de Washington au secrétariat aux sports, en passant par l'Elysée.

[3] Cf. A. Benelhadj : La Tunisie ne veut plus être un modèle. Le Quotidien d'Oran, 20-23 janvier 2011.

[4] À la différence de l'Egypte, où les réseaux de communication (téléphones portables et internet) ont été déconnectés pour perturber la coordination des insurgés, en Tunisie, dès le 05 janvier, ce sont les sites gouvernementaux qui ont été la cible de groupes d'internautes («Anonymous») solidaires du mouvement de protestation sociale. Très vite certains d'entre eux sont devenus inaccessibles. La guerre se prolonge dans le cybermonde, elle n'en procède pas. L'univers numérique reste de l'ordre de la tactique, pas de la stratégie. Les amateurs de Matrix et de War Games relèveraient de la Caverne allégorique de Platon (Livre VII de La République). C'est tellement tentant de se croire capable d'entreprendre des révolutions à partir de son clavier d'ordinateur…

Et il est difficile de résister à la tentation de citer in extenso un de ces génies de la rhétorique qui n'ont décidément rien compris, un peu comme ces bouteilles qui ne tiennent debout que par la grâce de l'étiquette : « Le moteur de cette révolution, ce ne fut évidemment pas le prolétariat. Ce ne furent ni les nouveaux ni les anciens pauvres. Ce ne furent même pas seulement ces fameuses classes moyennes surdiplômées qui se sont estimées trahies par Ben Ali. Non. Ce sont les internautes. Les usagers de Twitter, Facebook et autres YouTube. Ce sont ces hommes et femmes qui, munis d'un smartphone, ont parcouru les rues de Tunis pour filmer la répression, l'insurrection. Ce sont les Anonymous, ce groupe de hackers que ma revue, La Règle du jeu, a soutenus et qui, lorsqu'ils ont compris que la cyberpolice allait réduire à néant cet espace de cyberrésistance, ont attaqué les sites officiels du régime et bloqué la machine étatique. Révolution dans la révolution. Hier on prenait la télévision. Avant-hier les palais d'Hiver. Vient le temps d'une e-révolution, première du genre, à laquelle la jeunesse tunisienne donne ses lettres de noblesse. Pour cela aussi, pour avoir porté à ce point d'excellence cette nouvelle forme de résistance, merci à elle. » (BHL, Le Point, 20 janvier 2011) Vous voulez une révolution ? Formez des internautes !

[5] À ce sujet, je recommande un film : Actas de Marusia, film mexicain réalisé par Miguel Littin (1976), dont l'action se situe en 1907 au nord du Chili, dans une mine de salpêtre.

[6] Dans la précipitation, l'ambassadeur a été remplacé par un spécialiste des situations de crise, Boris Boillon, jusque-là en poste en Irak. Un cautère sur une jambe de bois.

[7] Autre motif d'hilarité : Peu savent que les services secrets israéliens avaient soumis le discours du président égyptien Sadate devant la Knesset au détecteur de mensonges. C'est un ordinateur qui a analysé le langage et les mouvements du président pour finalement permettre à des techniciens de conclure à sa bonne foi. http://www.ina.fr/audio/PHY05022620/le-discours-du-president-sadate-est-passe-au-detecteur-de-mensonges.fr.html

[8] L'opposition algérienne est plurielle. Sans renoncer à sa lutte, le Parti Socialiste des Travailleurs ne veut pas participer à une coordination (nationale pour le changement démocratique - CNCD) qui « a refusé d'intégrer à sa plate-forme les revendications sociales des masses ne proposant que des libertés formelles abstraites. Le PST « ne se voit pas en supplétif d'un pôle démocratique libéral, à l'opposition des aspirations populaires». Louisa Hanoune ne mâche pas ses mots : «Les travailleurs ne peuvent pas marcher avec un parti de droite qui a déjà fait partie d'un gouvernement qui a pris les pires décisions. Les citoyens doivent pouvoir connaître la nature des partis politiques et le RCD est loin d'être un parti révolutionnaire. Il est pour la mondialisation et la normalisation avec Israël». La Ligue Algérienne des Droits De l'Homme se désiste à son tour. S'interrogeant sur les vrais objectifs de cette initiative, son président se demande si le but de la prochaine marche (interdite par les autorités), ne vise pas « à se réunir autour d'une personne pour je ne sais quelles ambitions politiques » «… Je dirais qu'il s'agit bel et bien d'une marche superficielle, vide de toute revendication sociale, qui ne sert finalement qu'à se dégourdir les jambes».

[9] Lire Régis Debray : Démocratie ou République (1989). In Contretemps (1992) pp. 15-54. Folio actuel. Gallimard.

[10] Dans une note diplomatique datée du 31 mars 2009, l'ambassadeur américain au Caire écrit que l'aide militaire américaine s'est avérée payante au fil des années.

« Le président Moubarak et les chefs de l'armée considèrent notre programme d'aide militaire comme la pierre angulaire de nos relations militaires et considèrent le 1,3 milliard annuel alloué dans le cadre du programme d'aide financière aux armées étrangères comme un ‘dédommagement intouchable' pour la préservation de la paix avec Israël », selon cette note publiée par le quotidien britannique The Guardian et disponible sur le site de WikiLeaks. « Les bénéfices tangibles de nos relations militaires sont clairs: l'Egypte demeure en paix avec Israël, et l'armée américaine bénéficie d'un accès prioritaire au canal de Suez et à l'espace aérien égyptien », ajoute la note.

[11] Wikipédia.

[12] Les démocrates forment un club très fermé : Les « Amérindiens » états-uniens n'ont été reconnus citoyens, chez eux, qu'en 1924, 304 ans après l'arrivée du Mayflower. Les Aborigènes n'ont été admis comme Australiens qu'en 1967 seulement… 197 ans après le débarquement de James Cook. 132 ans après Sidi Feruch, les Algériens n'avaient jamais été admis au sein de la République et sont demeurés sous le régime de la sujétion.

A propos de la position des « intellectuels officiels » concernant Israël, Pascal Boniface a conclu un papier récent de manière qui n'exige aucun commentaire : « Les masques tombent. Nos trois intellectuels [Adler, BHL et Finkielkraut] dénoncent un éventuel extrémisme en Egypte mais soutiennent celui au pouvoir en Israël. Ils critiquent l'absence de démocratie dans le monde arabe mais s'émeuvent dès qu'elle est en marche. Leur priorité n'est pas la démocratie mais la docilité à l'égard d'Israël, fut-il gouverné avec l'extrême droite. »
par A. Benelhadj,Le Quotidien d'Oran

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